Les trois éthiques fondamentales : 1. Prendre soin de la Terre

Au cœur de la permaculture se trouve une éthique fondamentale, peut-être la plus essentielle de toutes : prendre soin de la Terre. Cette première éthique n’est pas un simple principe abstrait réservé aux discussions philosophiques. Elle constitue le socle concret sur lequel repose l’ensemble de la démarche permaculturelle et oriente chacun de nos gestes au jardin comme dans notre vie quotidienne.

La première éthique au cœur de la permaculture

Lorsque Bill Mollison et David Holmgren ont formulé les principes de la permaculture dans les années 1970, ils ont placé cette éthique en première position, non par hasard mais par nécessité logique. Prendre soin de la Terre représente la condition fondamentale de notre existence même. Sans une planète vivante et florissante, les autres éthiques – prendre soin des humains et partager équitablement – perdent tout leur sens.

Cette position fondatrice s’explique simplement : la Terre est le système qui nous soutient, nous nourrit et nous permet de vivre. En permaculture, nous reconnaissons cette dépendance fondamentale et en tirons une responsabilité claire : celle de maintenir et d’améliorer les conditions de vie de tous les systèmes naturels.

Une vision holistique de la Terre

Prendre soin de la Terre va bien au-delà de l’idée de « protection de l’environnement » telle qu’on l’entend souvent. Il ne s’agit pas simplement de polluer moins ou de consommer avec modération – bien que ces aspects soient importants.

Cette éthique embrasse une vision systémique où la Terre est comprise comme un organisme complexe composé d’innombrables écosystèmes interconnectés. Le sol, l’eau, l’air, les plantes, les animaux et les micro-organismes forment un tout indissociable. Agir sur l’un affecte inévitablement les autres.

À la différence d’autres approches écologiques qui peuvent se concentrer sur la conservation d’un état idéal ou la préservation d’espaces sauvages, la permaculture adopte une posture active et transformatrice. Elle vise la régénération des systèmes dégradés et la création de nouveaux écosystèmes productifs et résilients qui s’inspirent du fonctionnement de la nature.

Principes pratiques pour prendre soin de la Terre

La régénération avant la conservation

Pour le permaculteur, il ne suffit pas de préserver les écosystèmes existants – quoique cela soit crucial. L’ambition va plus loin : régénérer les sols appauvris, recréer des habitats disparus, restaurer les cycles hydrologiques perturbés.

Dans un jardin français ou belge, cela se traduit par des pratiques qui augmentent la vie du sol plutôt que de simplement éviter sa dégradation. L’apport régulier de matière organique, le paillage permanent, la culture sans labour ou encore l’utilisation d’engrais verts transforment progressivement un sol stérile en un écosystème foisonnant de vie.

La biodiversité comme indicateur de santé

Un système vivant sain se caractérise par sa diversité. Dans les jardins d’Europe occidentale, autrefois dominés par la monoculture, la permaculture réintroduit la diversité à tous les niveaux :

  • Diversité des espèces cultivées, privilégiant les variétés locales adaptées aux terroirs régionaux
  • Diversité génétique au sein de chaque espèce, pour augmenter la résilience face aux maladies et aux aléas climatiques
  • Diversité structurelle, par la création de microhabitats variés (mares, haies, zones sèches ou humides)
  • Diversité fonctionnelle, où chaque élément remplit plusieurs fonctions dans l’écosystème

Dans les jardins belges, souvent caractérisés par des climats plus humides et des espaces restreints, cette diversité se traduit par des associations de plantes créatives : fraisiers sous les arbres fruitiers, aromatiques intégrées aux massifs de légumes, plantes grimpantes sur les structures verticales.

Le cycle fermé et l’économie des ressources

La nature ne connaît pas le concept de déchet – tout y est ressource pour autre chose. Adopter cette perspective modifie profondément notre rapport aux ressources.

En pratique, cela signifie :

  • Composter tous les déchets organiques pour nourrir le sol
  • Recycler l’eau de pluie pour l’irrigation
  • Réutiliser les matériaux pour les constructions au jardin
  • Économiser l’énergie par des conceptions bioclimatiques
  • Privilégier les ressources locales pour éviter les transports

Dans le contexte européen, où les ressources en eau douce sont encore relativement abondantes mais sous pression croissante, la collecte de l’eau de pluie devient une pratique fondamentale. En France méditerranéenne, cette préoccupation est encore plus cruciale, avec des systèmes comme les swales (fossés d’infiltration) qui permettent de retenir l’eau des précipitations parfois violentes.

L’observation avant l’action

« Observer et interagir » est le premier principe de conception permaculturelle. Cette approche nous invite à prendre le temps de comprendre les patterns naturels avant d’intervenir. Ce principe d’humilité est peut-être l’expression la plus pure du respect pour la Terre.

Dans un jardin du nord de la France ou de Belgique, cela peut signifier d’observer pendant une année entière les mouvements du soleil, les zones d’ombre, l’écoulement de l’eau, avant de déterminer l’emplacement des différentes cultures et aménagements.

Applications concrètes en Europe occidentale

La régénération des sols

Les sols européens ont subi des siècles d’agriculture intensive. Les restaurer constitue souvent la première étape de tout projet permacole.

En France, où les traditions agricoles varient considérablement d’une région à l’autre, les techniques de régénération s’adaptent aux contextes locaux :

  • Dans les sols argileux du nord, l’incorporation de matière organique grossière et la culture sur buttes permettent d’améliorer le drainage
  • Dans les sols calcaires et secs du sud, le paillage épais et les couverts végétaux permanents préservent l’humidité
  • Dans les sols acides de Bretagne ou des Ardennes belges, l’ajout de coquilles d’œufs broyées ou de cendres de bois peut équilibrer progressivement le pH

La régénération passe aussi par la réintroduction de la vie microbienne, notamment via les préparations de compost aérobie, le thé de compost ou les purins végétaux, pratiques fortement ancrées dans les traditions paysannes européennes.

Une gestion de l’eau respectueuse des cycles naturels

L’eau est la sève vitale de tout écosystème. Sa gestion reflète notre compréhension des cycles naturels et notre capacité à nous y intégrer harmonieusement.

Les approches varient selon les régions :

  • En Belgique et dans le nord de la France, où les précipitations sont relativement abondantes et régulières, les systèmes de récupération d’eau de pluie et les mares naturelles permettent de stocker cette ressource
  • Dans les régions méditerranéennes, plus sèches, les techniques d’économie d’eau comme le paillage épais, l’irrigation goutte-à-goutte et la culture en cuvette deviennent essentielles
  • Dans les zones montagneuses des Alpes ou des Pyrénées, l’aménagement en terrasses permet de ralentir l’écoulement et favoriser l’infiltration

La gestion de l’eau ne consiste pas seulement à irriguer efficacement, mais aussi à créer des habitats aquatiques qui enrichissent la biodiversité. Une simple mare peut attirer grenouilles, libellules et oiseaux, créant un équilibre naturel qui limite les populations d’insectes indésirables.

Préservation de la biodiversité locale

L’Europe occidentale abrite une biodiversité unique, fruit de millénaires d’interactions entre les activités humaines et les écosystèmes naturels. Cette biodiversité est aujourd’hui menacée par l’homogénéisation des paysages et l’agriculture industrielle.

Le permaculteur agit comme gardien de cette richesse en :

  • Privilégiant les espèces indigènes, adaptées aux conditions locales et aux pollinisateurs régionaux
  • Cultivant des variétés anciennes ou paysannes, préservant ainsi le patrimoine génétique
  • Créant des corridors écologiques qui permettent aux espèces sauvages de circuler entre différents habitats
  • Respectant les équilibres naturels qui limitent naturellement les populations de ravageurs

En Belgique, où l’urbanisation exerce une forte pression sur les espaces naturels, chaque jardin permacole devient un sanctuaire pour la biodiversité. Même les plus petits espaces peuvent contribuer significativement à la préservation d’espèces locales, comme le montrent les initiatives de « jardins sauvages » qui fleurissent dans les banlieues de Bruxelles.

Au-delà du jardin : l’éthique du soin dans notre quotidien

L’éthique de prendre soin de la Terre déborde largement les limites de nos jardins. Elle imprègne progressivement tous les aspects de notre existence.

Empreinte écologique et choix quotidiens

Nos actions quotidiennes, des plus anodines aux plus significatives, ont un impact sur les écosystèmes. Prendre conscience de cette empreinte constitue la première étape vers sa réduction.

En Europe occidentale, où le niveau de consommation figure parmi les plus élevés au monde, cette prise de conscience est particulièrement nécessaire. Elle se manifeste par des gestes concrets :

  • Privilégier les produits locaux et de saison, limitant ainsi les transports et l’énergie nécessaire à la conservation
  • Réduire les emballages et les déchets non recyclables
  • Réparer plutôt que remplacer
  • Mutualiser les ressources à l’échelle du quartier ou de la communauté

Ces choix ne représentent pas des sacrifices mais un réalignement de nos priorités avec nos valeurs profondes.

La question énergétique

L’énergie que nous utilisons et la manière dont nous la produisons ont un impact majeur sur la santé de notre planète. La transition vers des sources plus propres et renouvelables s’inscrit pleinement dans l’éthique du soin.

Dans les contextes français et belge, caractérisés par des hivers froids et des besoins en chauffage importants, cela peut prendre différentes formes :

  • Amélioration de l’isolation des habitations
  • Installation de systèmes solaires thermiques ou photovoltaïques
  • Utilisation raisonnée du bois de chauffage issu de forêts gérées durablement
  • Conception bioclimatique pour les nouvelles constructions

La sobriété énergétique n’est pas synonyme de privation, mais d’une utilisation plus intelligente et consciente de l’énergie disponible.

Relever les défis contemporains

Adaptation aux changements climatiques

Les bouleversements climatiques en cours représentent un défi majeur pour tous les écosystèmes, y compris ceux que nous avons créés ou modifiés. En Europe occidentale, ces changements se manifestent déjà par des étés plus chauds, des événements météorologiques extrêmes plus fréquents, et des perturbations dans les cycles saisonniers.

La permaculture, avec son approche fondée sur l’observation et l’adaptation, offre des pistes pour augmenter notre résilience :

  • Diversification des cultures pour réduire les risques
  • Sélection de variétés résistantes à la sécheresse
  • Création de microclimats protecteurs
  • Systèmes de stockage d’eau plus efficaces

Dans le sud de la France, certains permaculteurs expérimentent déjà avec des espèces méditerranéennes ou nord-africaines mieux adaptées aux conditions plus chaudes et sèches qui s’annoncent, tout en préservant les espèces locales qui pourraient disparaître.

La permaculture urbaine : prendre soin de la Terre en ville

Plus de 80% des Européens vivent aujourd’hui en zones urbaines. L’application de l’éthique du soin dans ces contextes représente un défi particulier mais fondamental.

Les permaculteurs urbains de Paris, Bruxelles ou Lyon développent des approches innovantes :

  • Jardins sur les toits qui isolent les bâtiments tout en produisant de la nourriture
  • Murs végétalisés qui améliorent la qualité de l’air et la biodiversité
  • Transformation d’espaces délaissés en jardins partagés
  • Compostage communautaire qui valorise les déchets organiques

Ces initiatives montrent que prendre soin de la Terre est possible même au cœur des environnements les plus artificialisés.

Concilier cette éthique avec les contraintes modernes

Notre mode de vie contemporain, avec ses exigences professionnelles, ses contraintes de temps et d’espace, semble parfois peu compatible avec l’attention soutenue que requiert le soin de la Terre.

Pourtant, c’est précisément dans ce contexte que cette éthique prend tout son sens, nous invitant à réévaluer nos priorités et à trouver des solutions créatives :

  • Jardinage à temps partiel, adapté aux rythmes de vie urbains
  • Approches low-tech qui demandent peu d’entretien une fois établies
  • Partage des responsabilités au sein de collectifs ou de voisinages
  • Intégration progressive des principes permacoles dans nos espaces de vie

En France et en Belgique, le mouvement des « villes en transition » incarne cette conciliation entre mode de vie urbain et respect des écosystèmes, démontrant qu’une autre façon d’habiter nos territoires est possible.

Prendre soin de la Terre n’est pas un luxe réservé à ceux qui disposent de temps et d’espace, mais une nécessité qui nous concerne tous, là où nous sommes, avec les moyens dont nous disposons. Cette éthique nous rappelle que nos actions individuelles, aussi modestes soient-elles, participent à la grande tapisserie du vivant. Elle nous invite à devenir des acteurs conscients de notre impact et des gardiens avisés des écosystèmes dont nous dépendons.

Permaculture Magazine
Résumé de la politique de confidentialité

Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.